Dans le ciel du Shatt al-arab

Dans le ciel du Shatt al-arab

Dans le ciel du Shatt al-arab

17 septembre 2019

Sans l’invasion irakienne, je n’aurais pas donné cher de mon matricule. Rien, ni personne ne pourrait désormais nous tenir à l’écart de nos appareils. Leur ADN toute entière coulait dans nos veines.

Pilotes oubliés
Premier escadron de pilotes de F-4D Phantom II des forces aériennes impériales iraniennes (1971).

Il y a des attitudes et des comportements qui vous blessent plus profondément qu’un éclat de métal. Il faut dire que la politique et moi, n’avions jamais fait connaissance. Grave erreur de ma part.

Mes ailes épinglées fièrement sur ma combinaison ne suffiraient pas à me protéger du déluge qui allait bientôt s’abattre sur mes épaules. J’avais cru naïvement que le départ précipité du colonel Forozan était lié à une promotion à l’état major de Téhéran. Mais du jour au lendemain, son absence au sein des forces armées aériennes commença à alimenter les rumeurs les plus folles.

Ses amitiés avec le Shah Mohammed Reza Pahlavi n’y étaient sans doute pas étrangères. A coup de milliards de dollars, le dernier monarque iranien, lui-même pilote, avait engagé les forces aériennes de son pays sur la voie de la modernisation. Et l’histoire allait lui donner raison.

En l’espace de quelques semaines, nous étions frappés du sceau de l’infamie. Suspicion de trahison, de fidélité à l’ancien régime, les Gardiens de la Révolution s’en donnaient à coeur joie. La liste des accusations n’en finissait plus : intelligence avec l’ennemi, outrage à la morale religieuse, sabotage, désertion…

La nouvelle tomba comme un couperet : interdiction de vol pour tous les pilotes des forces aériennes. C’en était trop. A mesure que la situation se dégradait, beaucoup parmi nous se sentaient trahis par leur pays. La chasse aux ennemis de la Révolution était en marche et dans nos rangs, les « pilotes du Shah » paieraient ce lourd tribu de filiation. Je fus arrêté le 13 mai 1980, incarcéré et mis au secret dans les anciennes prison de la Savak. Enfermé, l’immensité du ciel me manquait. Chaque jour, j’étais soumis à des interrogatoires musclés visant à me faire avouer des agissements contre-révolutionnaires. Je sortis un mois plus tard sans aucune autre explication avec obligation de ne pas quitter le périmètre de la base. Notre armée de l’air était virtuellement clouée au sol. Pas d’entrainement et d’exercice au tableau de service.

Mais, alors que les orages de la guerre se faisaient de plus en plus menaçants, le régime pris conscience qu’il devait desserrer l’étau sur la communauté des pilotes. En l’espace de quelques mois, ils représenteraient la première ligne de défense de la toute jeune république islamique.

Défense sacrée
F-4D Phantom II en route pour une mission de combat

Les premières frappes irakiennes venaient de changer la donne. Après avoir négocié leur libération auprès des mollahs, le président Bani Sadr exhorte les forces aériennes à combattre pour un pays qui officiellement vient de les condamner à mort.

Mais remettre en état opérationnel la flotte des avions de combat après plusieurs mois d’inactivité ne fut pas chose facile. Pilotes et équipes au sol, soudés comme une seule entité, allaient montrer à la face du monde que l’aviation militaire iranienne n’était pas à terre et prête à rendre coup pour coup. Notre jeune IRIAF (Islamic Republic of Iran Air Force) résiste aux premiers raids aériens sur nos bases. La tentative de l’état major irakien de rééditer la tactique israélienne pendant la Guerre des six jours fait long feu en dépit d’une supériorité numérique. Devant cet échec, nous étions comme galvanisés et heureux de retrouver le cockpit de nos F-4 Phantom II. Ce que nous ne savions pas à l’époque, c’est que cette guerre était partie pour durer.

 

L’état major ne semblait pas avoir pris conscience de l’effort que nous allions devoir fournir. Malgré la surprise de l’offensive irakienne, nous n’étions pas à terre. La riposte viendrait du ciel. En cette fin de septembre, les premières frappes iraniennes allait sonner tel un coup de massue adressé à Saddam Hussein. Son désir de conquête commençait à s’effondrer sous le poids de nos bombes. Cette stratégie de destruction des infrastructures ennemies allait semer la mort dans les rangs de nos jeunes pilotes. Les artilleurs irakiens étaient particulièrement doués pour transformer nos Phantom en cercueils volants. Sans relâche, nos avions ciblaient en priorité les aérodromes irakiens à l’origine des raids sanglants sur les populations civiles.

Au sol, nos fantassins tenaient tant bien que mal face aux chars, le plus souvent au sacrifice de leur vie. Dans nos cockpits, ce spectacle de désolation occultait pendant quelques heures la nouvelle de l’éxécution de plusieurs pilotes jugés « hostiles » au pouvoir religieux. Mais très vite, la mission reprenait le dessus car le danger pouvait surgir de nulle part.

 

Mort au combat le 25 octobre 1980, le lieutenant Sohrab n’eut aucune obsèque militaire. Courage et détermination étaient devenues des valeurs méprisées par les autorités. Mais au sein de nos escadrons la mémoire des premiers pilotes tombés au champ d’honneur allait forger les bases d’une nouvelle génération de pilotes.

Honneur retrouvé
Mission de surveillance de l'approvisionnnement des pétroliers dans le Golfe persique

1984
Sur le champ de bataille, le conflit s’enlise. L’aviation irakienne engage des frappes sur notre terminal pétrolier de l’île de Kharg pour déstabiliser la route commerciale des tankers. Pour nos escadrilles, l’objectif est clair : sécuriser nos pétroliers tout en évitant la fermeture du Détroit d’Ormuz.

Un embrasement du Golfe Persique suscitant l’intervention de la communauté internationale ne faisait pas partie des options envisageables. Autant dire que le pouvoir en place marchait sur des oeufs. Après des relations douloureuses avec l’autorité religieuse, nous avions obtenu notre légitimité dans le sang. Certains en choisissant l’exil ou bien la sédition auraient pu sonner le glas de toute une génération de pilotes. Le destin de notre pays était dans la balance. Ce qui était au départ de la défiance s’est transformé en respect mutuel. Les enjeux étaient trop importants pour sacrifier sur l’autel de « la morale religieuse » la défense de la patrie.

Mis au ban de la communauté internationale, notre pays allait devoir serrer les dents pour trouver une issus à ce conflit. Mais dans le camp adverse, la donne était différente. L’aviation irakienne, équipée d’appareils soviétiques, essentiellement de Mig et de Sukkoi, venait d’acquérir le fleuron de la technologie française, le Mirage F-1 dans le cadre de programmes secrets avec la France. Officiellement, aucun pilote français ne pris place à bord des Mirages que nous affrontions. Paradoxalement c’est un sentiment de fierté et de peur qui nous traversait au moment d’affronter cet appareil. C’est toute la tradition de l’aviation française qui nous faisait l’honneur de la défier. Mais après quatre ans de guerre, nous nous étions fait les griffes sur nos Tomcat et notre palmarès de victoires clouait le bec à ceux qui clamaient haut et fort la mort de notre aviation. Nous, les pilotes de la grande Perse, allions écrire un nouveau chapitre d’une guerre interminable en contrôlant la zone du détroit à partir de notre base aérienne de Bandar Abbas.
(source audio : https://www.ina.fr/video/CAB87027630/tension-dans-le-golfe-video.html)

Création d’une vidéo montrant engagement du F14 contre tankers irakiens avec montage FSX + archives (pétrolier en flammes, terminal,etc)

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *